Françoise Hardy au cercle polaire
On nous annonce la mort de Françoise Hardy, laquelle n'attendait que ça depuis un bon moment. C'est donc en quelque sorte une bonne nouvelle, qui nous délivre de la saturation infernale des débats politiques actuels dans les médias. Parce que Macron, Le Pen et compagnie, le risque facho et tout le reste, franchement, ras-le-bol. En un sens, le décès de Françoise Hardy signe clairement la fin d'une époque sociale et culturelle, celle de la seconde moitié du vingtième siècle.
À ses débuts, lorsque sa chanson "tous les garçons et les filles de mon âge" passait sur Europe 1 dans l'émission "Salut les copains", je l'entendais d'une oreille distraite en sortant du collège. Quelques années plus tard, en été 1967, j'étais parti en stop avec mon frère depuis la France vers la Suède. Voyage initiatique s'il en fût, puisqu'auparavant je n'étais jamais allé plus loin que la Belgique, située à deux kilomètres de notre maison. Nous faisions des "craies" sur les trottoirs des grandes villes pour gagner de quoi poursuivre le voyage, parce que nous étions partis presque sans un sou. La traversée de la Hollande puis de l'Allemagne furent pénibles mais rapides, parce que les automobilistes prenaient facilement les auto-stoppeurs. Arrivés en Scandinavie, nous avions décidé de remonter toute la Suède en longeant la côte le long du détroit de Bothnie, puis redescendre du côté Finlandais et la Laponie, tout en haut, presque au cercle polaire, avant de rentrer chez nous.
C'est dans une petite ville portuaire au Nord de la Suède, Lulea, que je me suis mis à aimer Françoise Hardy. J'avais dessiné sur le trottoir de la rue pietonne une craie à partir du Christ de Rouault, une peinture à grands traits noirs, ce qui m'arrangeait parce que je n'avais presque plus de craies de couleur, seulement une boîte de noires. Systématiquement, les jeunes du coin s'agglutinaient autour de ce petit événement, parce qu'ils s'ennuyaient lors des vacances scolaires. Il y en avait toujours quelques uns pour nous inviter à passer la nuit chez eux, dans l'appartement de leurs parents dont ils avaient la garde quand ces dernier partaient passer quelques jours dans leur "maison d'été". Les jeunes préféraient rester entre eux, à écouter de la musique et si possible boire et fumer des joints dans les appartements libérés de la censure familiale. Lors d'une de ces soirées, une certaine Katarina fit jouer sur le tourne-disque le 45 tours avec la chanson "tous les garçons et les filles de mon âge", très connue et appréciée en Suède, ce qui était suprenant dans un pays où personne ne parlait le français. Katarina m'invita à danser un slow dans le salon, et j'écoutai pour la première fois avec émotion les paroles de la chanson, dans les bras de cette jeune suédoise qui n'en comprenait pas un mot, ce qui n'avait à ce moment aucune importance. Le temps de l'amour et de l'aventure flotta dans l'air nordique où nous avons flirté ensemble toute la nuit grâce à tous ces garçons -et surtout cette fille suédoise- de mon âge.
Puis, nous nous quittâmes au petit matin, autant dire assez vite. C'était l'été suédois, nous étions proches du cercle polaire et du soleil de minuit. Notre nuit ne dura même pas deux heures, entre la pénombre de minuit et le soleil éclatant, bien accroché au-dessus de l'horizon très tôt le matin. Mais ça reste dans mon souvenir une nuit éternelle et merveilleuse, là où j'espère que tu reposes à présent, chère Françoise.
Merci du fond du coeur.
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