Catalogne indépendante, entre utopie et malaise

 

Depuis des années, on entend parler du désir d'indépendance de la Catalogne, et tout semble avoir été dit et commenté à ce propos, je ne vais donc pas refaire toute l'histoire, mais plutôt relater une impression ressentie "à chaud" fin Septembre 2017 à Barcelone. Je préviens tout de suite ne pas avoir de position neutre, loin s'en faut, trouvant ce processus d'indépendance biaisé et manipulé par des forces contradictoires, et mon opinion en a été renforcée en voyant comment se comportait la population la veille du référendum.

Nous étions à Barcelone, invités par une amie japonaise à participer à sa performance autour de la cérémonie traditionnelle du thé, qu'elle donnait à l'espace Mies Van der Rohe à côté de la place d'Espagne. Le bâtiment aux lignes claires et sobres se prêtait parfaitement à ça, et tout se déroula bien, zen dirons-nous, dans l'après-midi, lors de la première séance. Lors de la pause vers 18 h le Samedi, on vit arriver de l'autre côté de l'esplanade des camionnettes chargées de drapeaux, d'affiches, de hauts-parleurs, et en moins d'une heure se trouvèrent installés tous les composants pour un meeting de grande envergure. Curieux, je m'approchai d'une jeune militante enroulée dans un drapeau catalan pour lui demander des précisions. Elle me répondit en anglais qu'il s'agissait de la plus grande manifestation prévue en faveur du SI au référendum et que 80% de la population catalane voulait l'indépendance.

La seconde cérémonie du thé de la journée reprit à 21 h, tandis qu'une foule énorme de militants pour le oui, à cinquante mètres de l'autre côté de la place, applaudissait aux discours et aux chants catalans. On y conspuait en vrac et joyeusement l'Etat espagnol, responsable de tous les maux du pays, les flics, le droit à la liberté, avec des affiches représentant des bouches fermées pour exiger la démocratie, parfois des slogans d'une autre époque, comme ce « No Pasaran » tout droit issu de la guerre d'Espagne.

Peu à peu, au milieu de cette foule jeune, enthousiaste, sympathique, je ressentis un malaise : où sont leurs ennemis ? Qui les opprime ? Depuis notre arrivée, il m'avait semblé être dans un pays libre, ouvert, agréable, l'un de ces endroits au monde qui font rêver. Que veulent-ils qu'ils n'ont pas déjà ? L'enseignement à l'école se fait en Catalan, c'est la langue officielle (bien qu'en réalité la plupart des habitants de Barcelone s'expriment en castillan dans les rues sans l'avouer publiquement). La province est autonome pour la justice, la police, la santé, toutes les opinions politiques sont libres, autant dire qu'on est loin d'une dictature fasciste telle que l'avait connu le pays sous Franco il y a quarante ans.

Nous avions réservé un logement Airbnb au centre-ville. Nos logeurs étaient un couple de profs, appartement bourgeois sur l'avenue Diagonal, qui nous accueillirent tout en poursuivant leurs préparatifs d'occupation du collège de leurs enfants, réquisitionné comme bureau de vote par l'autorité catalane. Intrigué, je leur demandai s'ils craignaient des heurts avec la police. "Pas vraiment, répondirent-ils, mais comme le référendum est illégal pour le gouvernement espagnol, il faut dormir sur place pour être certain que les gens puissent voter". Voter SI, précisèrent-t-ils.

Ils nous installèrent rapidement dans une petite chambre au milieu de l'appartement avant de retourner à leurs préparatifs avec leurs amis. J'aurais bien aimé discuter avec eux, mais comment faire avec de tels fanatiques ? De gentils fanatiques, d'ailleurs, amicaux, et qui croient sincèrement vivre en enfer sous le joug espagnol dont seul le vote favorable à l'indépendance les délivrera.

Pour la petite histoire, il nous a été impossible de dormir, parce que toute le famille a a fait des aller-retours agités toute la nuit entre le collège à occuper et l'appartement.

Je regrette n'avoir pu au moins leur dire que si l'Espagne était à ce point une dictature, jamais elle n'aurait toléré les affiches réclamant indépendance et démocratie placardées à leurs fenêtres, et que pour seulement un mot à ce sujet sous Franco toute la famille serait déjà en prison pour longtemps, ou bien leur demander pourquoi ils n'adhéraient pas à un parti politique d'opposition au gouvernement conservateur de Madrid.

Mais on n'en est plus là, les indépendantistes ont tendu un piège qui fabrique aujourd'hui des militants à la chaîne. Là où cette option se situait entre 15% et 20%, c'est à présent la moitié de la population qui en est, surtout les jeunes, endoctrinés il est vrai par leurs années de collège en langue catalane, durant lesquelles on leur a appris une version partisane et tronquée de l'histoire de l'Espagne.

Leur rêve en vaut bien un autre, mais qu'est-ce que ça pourrait changer dans une Europe conçue telle une annexe de l'Amérique ?





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